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Giuseppina GRASSINI

1773 – 1850

Aussi [Giuseppina Maria Camilla]

Cette cantatrice étonnante marque la fin du siècle des lumières dont elle prolonge la splendeur jusqu'au début des années 1800, ravivant le chant tragique des grandes voix de contralto bien délaissé à son époque.
Membre d'une très nombreuse fratrie, Grassini ne baigne pas vraiment dans un milieu artistique. Ce sont les modestes personnalités musicales de Varèse, dans sa Lombardie natale, qui assurent les rudiments de sa formation avant qu'elle n'approfondisse son art à Milan auprès de plusieurs maîtres.
La cantatrice débute à seize ans à Parme dans La Pastorella nobile de Guglielmi et La Ballerina amante de Cimarosa. L'année suivante, elle retrouve divers opéras bouffes à Milan, dont Lisotta dans La Cifra de Salieri, rôle créé à Vienne par Dorotea Bussani. La révélation n'arrive cependant qu'avec le grand genre serio : en 1792, le succès éclate à Vicence dans Ezio de Tarchi puis Venise dans le Pirro de Paisiello. Son talent dramatique est confirmé à la scala en 1793, avec le soprano Marchesi, qui l'accompagne dans Artaserse de Zingarelli et Demofoonte de Portogallo : la voici dès lors adoubée première tragédienne d'Italie.
Giuseppina GrassiniLes années suivantes sont l'occasion de nombreuses incarnations mémorables entre Milan et Venise, notamment avec le castrat Crescentini qui devient son partenaire de prédilection dans deux œuvres emblématiques de l'époque jouées incessamment après leur création : Giulietta e Romeo de Zingarelli puis Gli Orazi e i Curiazi de Cimarosa. Elle interprète également des opéras de Bertoni dont Temira e Aristeo, Orfeo ed Euridice avec Rubinelli, Telemaco de Mayr et la Penelope de Cimarosa à Livourne avec le ténor Babbini. On fait appel à elle à Naples pour les noces royales célébrées avec Artemisia di Caria de Cimarosa : les Napolitains succombent à leur tour à ses accents sombres et pénétrants. Les galants ne lui manquent pas, et le duc de Sussex, sans doute mécontent de ne pas se voir accorder ses faveurs, la fait flanquer à l'eau alors qu'il l'a invitée, un soir, pour une promenade en barque ! La contralto est contrainte de regagner la côte à la nage.
C'est le nord de l'Italie qui entend toutefois le plus la Grassini : elle y retourne via Ferrare en 1798 et brille durant deux saisons à la Fenice, en Orazia bien sûr mais aussi dans La Morte de Semiramide de Nasolini, Zenobia in Palmira d'Anfossi et Alceste de Portogallo. Elle est accompagné du soprano Andrea Martini et du ténor Brizzi.
Parvenue à Milan en 1800, la Grassini retrouve un Napoléon conquérant, charmée par la chanteuse depuis leur première rencontre trois ans avant. En revenant à Paris, l'empereur ramène Grassini, qui participe aux célébrations du 14 juillet avec des musiques de Méhul et des airs italiens célébrant la libération de l'Italie (simplement passée d'un occupant à l'autre, pourtant...). Prolongeant son séjour, et maîtresse officielle du souverain, la Grassini tente en vain d'organiser une maison d'opéra italien à Paris, projet accompli par Mlle Montansier. La contralto chante en concert, notamment avec le violoniste (et nouvel amant) Rode en 1801, et rentre en Italie.
On l'entend à Gênes dans La Vergine del sole d'Andreozzi cette même année, puis en 1802-03 à Trieste, Bergame, Bologne... Elle promène partout le personnage de Sémiramis dans la version de Nasolini.

La carrière de la Grassini s'étend en Angleterre, où tous les grands chanteurs cherchent à s'imposer depuis Senesino, Cuzzoni, Bordoni et Farinelli. Elle débute dans La Vergine del sole d'Andreozzi et enchante le musicien Kelly par ses notes graves « sublimement pathétiques » et l'intensité de son jeu. La beauté de Giuseppina, encore jeune, la pose en rivale dangereuse d'Elisabeth Billington, soprano adulée par ses compatriotes. La confrontation atteint son sommet lorsque le directeur de l'opéra les distribue ensemble dans Il Ratto de Proserpina de Winter ; d'après le piquant récit de Scudo, la contralto l'emporta de peu sur la soprano. Mlle Vigée-Lebrun, qui laissa pas moins de six portraits de la cantatrice, évoque les salons de la cantatrice à Londres et la fameuse rivalité avec la Billington :
[...] elle joignait à sa beauté et à son talent si remarquables une extrême amabilité ; sa voix était l'une de ces voix basses, appelées contralto, qui sont fort rares et fort estimées en Italie, tandis que Madame Billington était un soprano ; mais toutes deux se plaisaient quelquefois à empiéter sur le domaine de sa rivale, ce qui selon moi n'était avantageux ni à l'une ni à l'autre. Je me souviens qu'un jour j'étais à la représentation d'un opéra dans lequel Madame Grassini et Madame Billington chantaient ensemble, et la première venait de donner quelques notes fort élevées, lorsque le directeur vint dans ma loge et me dit d'un air furieux : Vous voyez ce qui vient d'arriver ; eh bien cela ne m'étonne pas, car lorsque je vais le matin chez ces dames, je trouve Madame Billington qui répète ses rôles dans le bas, et Madame Grassini dans le haut ; voilà ce qui me désespère !

GrassiniGrassini demeure à Londres jusqu'en 1806 avant de rejoindre Paris, où Napoléon l'a nommée Première cantatrice de Sa Majesté l'Empereur et Roi. Certaines sources affirment qu'elle est même élevée au rang de comtesse afin de ne pas pâlir devant les femmes de la cour. La troupe est constituée du ténor Brizzi, de Francesca Riccardi-Paër et du castrat Crescentini : tous s'emploient à ravir un Napoléon féru de chant italien dans les grands succès de Zingarelli, Cimarosa, mais aussi Pimmalione de Cherubini, Merope de Nasolini, Edipo de Sacchini, Cleopatra et Didone de Paër. La liaison entre Napoléon et la contralto est connue de tous et dans le rôle de Cléopâtre, on dit qu'elle chante en direction de la loge impériale un air de Blangini :
Adoro i cenni tuoi, questo mio cuor fedele,
Sposa sarò per vuoi, non dubitar di me,
Ma un sguardo sereno ti chiedo d'amore.


En 1813, Grassini obtient de se produire à l'opéra italien et retrouve un public plus large, qui lui fait encore un triomphe dans le rôle d'Orazia. Elle passe une saison à Londres où elle devient cette fois-ci la maîtresse de... Wellington, ennemi juré de Napoléon ! Revenue à Paris, elle finit par trouver Catalani nommée à la direction de l'opéra italien, et préfère retourner en Italie. Giuseppina chante à la Scala, à Venise, puis Brescia, où son élève l'accompagne ; il s'agit d'une certaine Giuditta Pasta, diva mythique du romantisme naissant. On les entend encore ensemble à Padoue dans l'inusable Gli Orazi e i Curiazi de Cimarosa. La Grassini chante à Vienne en concert, puis Trieste et Florence où une reprise de Cleopatra de Paër scelle la fin de sa carrière.

Retirée à Milan mais souvent présente à Paris, elle accompagne les débuts de ses nièces Giuditta et Giulia Grisi, qui deviennent de brillantes chanteuses servant notamment les œuvres d'autres visiteurs du salon de Giuseppina, Bellini et Rossini.
On lit souvent que la Grassini a débuté comme soprano, et si l'aigu est en effet souvent sollicité pour une voix médiane, les témoignages concordent sur l'impact de son registre grave. Si l'on en croit les commentateurs – et d'après les partitions de son répertoire –, sa voix était plutôt courte et centrale, avec un aigu strident (jusqu'au si4, abondamment employé en 1798 dans Antigono de De Sanctis à Naples) et un grave voilé (jusqu'au la2). Il est probable que l'aigu se soit écourté au tournant du siècle. La chanteuse savait exploiter ses défauts et se distinguait par sa beauté, son jeu et son art du cantabile, correspondant au retour à une expression plus directe et sentimentale après les dérives virtuoses rococos. Benedetti Frizzi, observateur qui a laissé des commentaires sur de nombreux artistes de l'époque, indique à son propos :
La voix est belle bien que peu étendue. Elle se situe entre la voix de soprano et la voix de contralto. Ses capacités sont limitées en ce qui concerne le sublime et le difficile dans la musique [la virtuosité], mais elle plaît, et beaucoup.

Demofoonte Dircea M. Portogallo 1794 Milan
>duetto Or che sono a te vicino Réduction pour clavecin : A. Russo, P. Veira de Almeida – captation de concert, Lisbonne 2012
Giulietta e Romeo Giulietta A. Zingarelli 1796 Milan
  Incluant ajouts de versions ultérieures. A. Hallenberg, Armonia Atenea dir. G. Petrou – retransmission de concert, Salzbourg 2016
Extraits : P. Talbot, Orchestre de l'opéra royal dir. S. Plewniak – CD Chateau de Versailles Spectacles 2020
Gli Orazi e i Curiazi Orazia D. Cimarosa 1796 Venise
  K. Blaise, Orchester der ludwigburger Schlossfestspiele dir. M. Hofstettter – CD Oehms Classics
Telemaco nell'isola di Calipso Calipso G.S. Mayr 1797 Venise
  A.L. Brown, Concerto de Bassus dir. F. Hauk – CD Naxos 2017
Gli Orazi e i Curiazi Orazia M. Portogallo 1798 Ferrare
> deux airs d'Orazia A.C. Antonacci, dir. A. Curtis – inclus dans la retransmission de représentations de la version de Cimarosa, Rome, 1989
Il Ratto di Proserpina Proserpina P. von Winter 1804 Londres
> trio Mi lasci, o madre amata * air Sommo Dio
> arioso Paga fui
D. Jones/D. Montague, Philharmonia Orchestra dir. D. Parry – One hundred years of Italian opera 1800-1810, CD Opera Rara
D. Riedel, Arcadia Lane Orchestra dir. R. Bonynge – Cherry Ripe, CD Melba 2008
Adora i cenni tuoi (air) Giulietta F. Blangini 1807 Paris
  In Giulietta e Romeo, Zingarelli. A. Hallenberg, Armonia Atenea dir. G. Petrou – retransmission de concert, Salzbourg 2016
Pimmalione Venere L. Cherubini 1809 Paris
  G. Carturan, orchestre de la RAI de Milan dir. E. Gerelli – retransmission radio, 1955