1705 – 1782

dit Farinelli

Farinelli est sans doute le castrat, voire plus généralement le chanteur d’opéra, le plus fêté de l’histoire. Né Carlo Broschi et bénéficiant du soutien des frères Farina – qu’il remercie en choisissant son surnom – il étudie avec le célèbre Porpora au conservatoire de Naples. À 16 ans, il débute dans Gli orti esperidi et Eumene à Rome, ainsi qu'en petit berger dans la cantate Angelica e Medoro de Porpora à Naples. Ces livrets sont signés d’un jeune librettiste, Pietro Trapassi, appelé à devenir la grande référence de la poésie dramatique de ce siècle sous le nom de Metastasio, et un grand ami de Farinelli.
À Rome, le castrat acquiert rapidement une fantastique renommée, pour la beauté de sa voix, son étendue hors du commun (apparemment do2 – ré5) et sa puissance, sa virtuosité stupéfiante, son expressivité… Une anecdote où le jeune castrat surclasse un trompettiste virtuose en puissance, souffle et agilité témoigne du phénomène. Une de ses célèbres prestations de l'époque, symbole de l'équivoque prisé par le public, est le rôle de Cléopâtre dans la serenata Cleopatra e Marc'Antonio de Hasse, avec la contralto Tesi en Marc-Antoine.
Quittant Rome, Farinelli arrive à Venise où il fait là encore sensation, notamment dans les œuvres des compositeurs napolitains comme Hasse, Giacomelli (Merope) ou Leo (Catone in Utica), parfaitement adaptées à son style de chant, et qui contribuent au déclin de l’école vénitienne dont Vivaldi et Albinoni (et bientôt Galuppi) maintiennent seuls le flambeau. Le prêtre roux n'est pas sourd au succès du chanteur, et replace les tubes du briIlant soprano dans ses opéras et pasticci. Parmi ces morceaux, certains sont de la plume du frère du castrat, Riccardo Broschi, compositeur attentif à mettre en valeur la voix du fameux soprano, et à qui Farinelli doit certains de ses plus grands succès, comme les airs Son qual nave ou Ombra fedele.

Ainsi, après avoir brillé en Italie sur la plupart des grandes scènes au cours des années 1720 ainsi qu'à Munich et Vienne où l'empereur Charles VI l'enjoint à moins de pirouettes vocales et plus de simplicité, Farinelli part pour Londres en 1734 afin de soutenir son maître Porpora dans la brillante compagnie rivale de celle de Haendel, The Opera of the Nobility. Il reprend pour l'occasion son rôle fétiche d'Arbace dans Artaserse, au sein d'une distribution grandiose qui comprend Senesino, Montagnana et la Cuzzoni, et chante divers opéras et pasticci sur des musiques de Porpora (Le Feste d'Imeneo), Veracini (Adriano in Siria), Duni (Demofoonte), Pescetti etc. Le public l’adore, un spectateur s'époumone « One god, one Farinelli! » mais le chanteur vénéré repart en 1737, la situation de l’opéra italien à Londres devenant compromise. Avant de quitter la capitale, Farinelli offre en concert une cantate de remerciement, intitulée Regal Britannia.

Il accepte alors l’invitation de l’entourage de Philippe V à se produire en privé afin, selon une légende peu fondée, de guérir le roi de sa névrose. Farinelli se rend donc à Madrid, où il reste jusqu’en 1759, ne se produisant plus au théâtre mais toujours pour le roi et sa cour comme dans L'Isola disabitata, ou La Pesca de Conforto (qui requiert encore le contre-ut) en 1756, flanqué de Gizziello ; il occupe alors une place prégnante dans le monde musical et même politique. C'est lui qui fait venir les meilleurs vocalistes d'Italie pour créer les opéras de Mele, Conforto ou encore Jommelli au Buen retiro. On suppose que bon nombre de cantates de Domenico Scarlatti ont été prévues pour le soprano vieillissant. Il se consacre également à l'enseignement, avec la brillante soprano Teresa Castellini. Le somptueux recueil d'air de son répertoire envoyé à Vienne en 1753 contient aussi des airs créés par Castellini ou Peruzzi, et donne une image de son répertoire de salon.
Farinelli achève sa carrière espagnole chargé d’honneurs et de richesses, mais doit finir sa vie en Italie, la succession du roi ne se faisant pas à son avantage. Il termine donc son parcours à Bologne dans une somptueuse villa, admiré de tous, véritable légende vivante à laquelle les personnalités musicales se doivent de rendre visite, à l'image de Burney.

Extrait d'une vocalise de l'Artaserse de Hasse (Parto, qual pastorello)